Vie, mort et résurrection (alléluia !) de la consigne
10 juillet 2022

Disparus dans les années 90, les emballages consignés sont aujourd’hui de retour. Où étaient-ils passés ? Voici l’histoire de la consigne.

RECONCIL n’a pas créé le concept de consigne des emballages alimentaires – loin de là. Car d’après Wikipédia, la consigne aurait été inventée en Irlande… en 1799 ! Courante dans les années 60, elle a presque totalement disparu dans les années 90 en France. Elle fait aujourd’hui son come-back, après un passé mouvementé !

Jeter, c’est la modernité !

Il était une fois les années 60. Ma grand-mère imaginaire fait ses emplettes au marché du coin, cabas à la main. Elle dégaine, tour à tour, sa boîte à œufs, ses bocaux, son bidon de lait à remplir, sans oublier sa bouteille en verre pour le vin. Pour mamie, il aurait paru aussi absurde de jeter un récipient après usage que de détruire ses habits chaque soir. Mais ce qu’elle ne sait pas, c’est que son bidon de lait est en passe de devenir, au mieux, un élément de déco vintage, et au pire, un déchet qui polluera sols et océans.

Car la modernité est à nos portes, et notre transformation en homo détritus – comme nous surnomme, Baptiste Monsaingeon, chercheur à l’Ifris et auteur du livre Homo Détritus – est en cours. Pour lui, c’est pendant les Trente glorieuses que le jetable devient super tendance :

« La “jetabilité” devient un argument récurrent de vente aux lendemains de la guerre : le fait de mettre à la poubelle est bien plus qu’un moyen de simplifier le quotidien, c’est désormais un véritable “art de vivre” de la modernité ».

Baptiste Monsaingeon

Un reportage datant du 18 novembre 1964 donne une bonne idée de l’ambiance de l’époque :

La loi qui a tué la consigne 

Si ce reportage paraît aujourd’hui édifiant, il montre bien à quel point ma grand-mère, abreuvée de publicité, ivre de modernité et de consommation, ne soupçonne pas que derrière sa poubelle, il n’y a pas qu’un gros néant qui aspire ce déchet (beurk) qu’elle ne saurait voir. Soyons cléments avec elle : elle n’a pas eu l’idée d’adopter les emballages jetables toute seule.

Dans son histoire française, la consigne a subi une lente et douloureuse agonie. Mais les sources s’accordent à dire qu’elle a été achevée par une loi, comme l’explique le feu magazine Terraeco :

« Le coup de grâce ne tomba qu’au début des années 1990 avec la responsabilité élargie du producteur : ceux qui font les déchets doivent participer à leur gestion. En 1992, la France se décide pour un système de contribution financière versée auprès d’éco-organismes qui se chargeront de redistribuer l’argent aux collectivités. »

Si l’intention n’est pas forcément mauvaise, dans les faits, cela instaure le principe du « pollueur-payeur » : tant qu’on paie pour les gérer, on peut continuer à produire des emballages, des tonnes d’emballages, en toute tranquillité. A l’époque, la plupart des entreprises optent donc pour un simple chèque aux collectivités, en échange de quoi elles peuvent personnaliser leurs packaging, et ne s’encombrent plus d’une gestion de consigne – par ailleurs devenue de plus en plus compliquée à mesure que grandit la distance entre le producteur et le consommateur.

Ainsi, la consigne en France disparaît alors presque totalement. Cela dit quelques irréductibles subsistent encore aujourd’hui. Les cafés et les restaurants continuent à vendre 40% de bouteilles consignées, mais aussi les brasseurs d’Alsace, où les circuits de consigne n’ont jamais cessé d’exister.

Petit jeu : combien de déchets auraient pu être évités grâce à la consigne, sur cette photo ?
Réponse : beaucoup, beaucoup, beaucoup

Conséquence : les déchets s’accumulent

Voici donc ma grand-mère délaissant son bidon de lait, pour consommer et jeter allègrement toutes sortes d’emballages. Mais dès les années 80, on commence à comprendre que l’abandon de la consigne n’était peut-être pas l’idée du siècle. Les déchets s’accumulent, voire sont dispersés sans contrôle dans l’environnement. Et on ne sait bientôt plus quoi en faire.

La bascule : TU es responsable du déchet !

Mais alors, pourquoi n’est-on pas revenu à la consigne dès les premiers signes de pollution ? Disons que les entreprises de l’alimentaire, ayant expérimenté la non-gestion de la consigne et le packaging personnalisé, n’étaient pas hyper impatientes de la retrouver. Alors, un glissement quasi philosophique s’opère doucement, très bien expliqué dans une  chronique passionnante de France Culture (morceaux choisis) :

« Dès 1953 [aux États-Unis] fût créé l’organisme Keep America Beautiful [consortium rassemblant les professionnels de la canette et de la boisson], chargé d’expliquer, à grand renfort de spots publicitaires, les moyens de protéger l’environnement au quotidien. Recyclage, tri, engagement citoyen… Tout fut mis en œuvre pour montrer l’importance de ces actes individuels, porteurs d’un changement global. […] Un coup de force politique d’une rare habileté qui conduisit à basculer durablement la faute du côté des consommateurs. »

En France, Baptiste Monsaingeon parle de « responsabilisation de l’usager » début 1990. Au lieu de questionner la production des déchets par les professionnels de l’agro-alimentaire, on a plutôt considéré que c’était à l’usager (toi) de bien jeter.

Le comeback de la consigne, version 2019

Retour en 2019, donc. Dans notre poubelle, 571 kg de déchets par an et par habitant (chiffres de l’ADEME cités dans cette étude). En 2006, d’après France Nature Environnement, 50% en volume et 30% en poids de déchets étaient des…emballages.

Heureusement, l’idée selon laquelle « le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas » commence à faire son chemin. La consigne revient avec les Ecocup lors des festivals ou plus récemment Ma bouteille s’appelle revient en Drôme-Ardèche. Dans plusieurs villes de la métropole, des projets innovants voient le jour. Les collectivités locales peuvent apporter, le plus souvent, des financements et de l’accompagnement afin de ressusciter ce bon vieux concept.

Mais la consigne de 2019 n’est pas celle des années 60 ! Non seulement nous ne vivons plus comme ma grand-mère : nouvelle mobilité, consommation numérisée, production décentralisée. Mais il faut surtout repenser toute une logistique avec les moyens aujourd’hui :  trouver l’emballage idéal, recréer des machines de nettoyage, faire circuler les emballages consignés, convaincre les professionnels de l’utiliser.

Mais avec beaucoup d’énergie et de bonne volonté, je reste persuadée que l’histoire de la consigne finit bien. Elle est en train de se réveiller de son long sommeil ! Et RECONCIL diffuse ce nouveau son de cloche, quartier par quartier.

Julie Desbiolles

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